Les dégoûtés et les dégoûtants – Chapitre 26 – Le malheur des hommes…
L’histoire ne serait-elle pas que la science du malheur des hommes ? Des siècles de violences semblent confirmer cette formule de manière éloquente. Car peu de peuples et peu d’États ont été exempts de toute violence de masse. Les principales puissances européennes furent impliquées dans la traite des Noirs ; la République française a pratiqué une colonisation qui, en dépit de certains apports, fut marquée par nombre d’épisodes répugnants. Les États-Unis restent imprégnés d’une certaine culture de la violence qui plonge ses racines dans deux crimes majeurs : l’esclavage des Noirs et l’extermination des Indiens.
Il n’en reste pas moins que l’on pourrait croire que nous avons dépassé ce stade. Un coup d’œil rétrospectif impose une conclusion accablante : les grandes catastrophes humaines (guerres, nazisme, et tragédies plus circonscrites (Arménie, Biafra, Rwanda et ailleurs)) n’ont, apparemment, rien enseigné à l’Homme.
Les comportements de certains Hommes s’insèrent dans ces faits historiques débordant de tragédies. Ils en constituent, même, parfois, l’un des moments les plus intenses et les plus significatifs. Car c’est bien nos comportements faces à l’infamie et l’injustice qui autorisent tout le reste de se produire ! S’il y a des concepts qui sont beaux, l’Homme s’envisage, bien trop souvent, au-dessus d’eux ! Il faut introduire ici et aussitôt une distinction entre la doctrine et la pratique. Comme philosophie politique, le communisme existe depuis des siècles, voire des millénaires. N’est-ce pas Platon qui, dans La République, fonda l’idée d’une cité idéale où les hommes ne seraient pas corrompus par l’argent et le pouvoir, où la sagesse, la raison et la justice commanderaient ? Un penseur et homme d’Etat aussi éminent que sir Thomas More, chancelier d’Angleterre, en 1530, auteur de la fameuse Utopia et mort sous la hache du bourreau d’Henri VIII, n’était-il pas un autre précurseur de cette idée de la cité idéale ?
La démarche utopienne de quelques endoctrinés semble parfaitement légitime comme outil critique de la société. Elle participe du débat d’idées, oxygène de nos démocraties. Cependant, la conception de quelques pensées par quelques individus, se situe dans un ciel d’idées ténébreuses. C’est une conception bien réelle des choses, qui a existé à une époque donnée, dans des pays donnés, incarné par des leaders célèbres (Lénine, Staline, Mao, Hô Chi Minh, Castro, etc.).
Quel que soit le degré d’implication de la doctrine communiste dans la pratique du communisme réel, il convient de constater, que, c’est bien celui-ci qui a mis en œuvre, bien souvent, une répression systématique, jusqu’à ériger, en des moments paroxystiques, la terreur en mode de gouvernement. L’idéologie n’en devient, dès lors, pas si innocente chez ceux qui la porte. Des esprits chagrins ou scolastiques pourront toujours soutenir que ce communisme réel n’avait rien à voir avec le communisme idéal. Et il serait évidemment absurde d’imputer à des théories élaborées avant Jésus-Christ, à des événements surgis bien plus tard. Néanmoins, les révolutions comme les arbres se reconnaissent à leurs fruits.
Ainsi, chemin faisant, les crimes individuels et les massacres ponctuels, circonstanciels, de nouveaux régimes ont, pour asseoir leur pouvoir, érigé le crime de masse en véritable système de gouvernement. Il est vrai, généralement, qu’au bout d’un laps de temps variable, la terreur perd de sa vigueur, les nouveaux régimes se stabilisent dans une gestion de la répression au quotidien, à travers le contrôle de tous les moyens de communication, le contrôle des frontières, l’expulsion des dissidents. Mais la « mémoire de la terreur » continue à assurer la crédibilité, et donc l’efficacité, de la menace répressive.
Mais, ces crimes « révolutionnaires » ne sont pas soumis à une évaluation légitime et normale, tant du point de vue historique que du point de vue moral. Ne convient-il pas de s’interroger sur cette dimension criminelle comme une question à la fois centrale et globale ? On peut, certes, rétorquer que la plupart de ces crimes répondaient à une « légalité », elle-même appliquée par des institutions appartenant à des régimes en place, reconnus sur le plan international. Mais ils restent des crimes néanmoins ! Des crimes qui ne se définissent pas au regard de la juridiction de ces nouveaux régimes, mais du code non écrit des droits naturels de l’humanité.
L’histoire des régimes et des partis, de leur politique, de leurs relations avec leurs sociétés nationales et avec la communauté internationale, ne se résume pas à cette dimension criminelle, ni même à une dimension de terreur et de répression. Dans les « démocraties populaires » après la mort de leur despote égocentrique, la terreur s’atténue, la société commence à retrouver des couleurs. Néanmoins, des archives et des témoignages abondants montrent que la terreur a été, dès l’origine, l’une des dimensions fondamentales du nouveau régime. Abandonnons l’idée que telle fusillade d’otages, tel massacre d’ouvriers révoltés, telle hécatombe de paysans morts de faim, n’ont été que des « accidents » conjoncturels, propres à tel pays ou à telle époque. La démarche dépasse chaque terrain spécifique et considère la dimension criminelle comme l’une des dimensions propres à l’ensemble des nouveaux systèmes.