Les dégoûtés et les dégoûtants – Chapitre 33 – Comment nous sommes trompés
Les trois principaux traits qui caractérisent le type de la personnalité manipulatrice typique sont les suivants :
- Déguiser ou masquer les intentions réelles d’agression envers les autres ;
- Connaître les faiblesses de sa victime potentielle en étudiant chacun de ses principaux facteurs de vulnérabilité ;
- N’avoir aucune forme de compassion envers ses victimes en ce qui concerne la violence psychologique, physique ou verbale.
Une personnalité manipulatrice a un plan spécifique pour chacune de ses proies, en fonction de ce qu’elle attend de celles-ci. Lorsqu’elle a atteint son objectif, elle se débarrasse de cette personne comme on se débarrasse d’un mouchoir en papier usagé. Un manipulateur qui réussit n’a pas de scrupules. Il doit gagner la confiance totale et absolue de sa proie ; pour cela, il sera prêt à la soutenir, à l’écouter, à lui accorder toute son attention pour qu’elle se sente à l’aise et en confiance.
On pourrait comparer le comportement du manipulateur à celui d’une plante carnivore avec sa proie : celle-ci l’attire grâce à ses couleurs vives et aux odeurs qu’elle dégage. L’insecte a alors l’impression de se trouver dans un endroit confortable, tout comme nous pourrions nous sentir à l’aise dans un beau restaurant luxueux, par exemple. Une fois la proie posée sur la plante, il est déjà trop tard, car elle est prise dans ses mâchoires. C’est ce que fait une personnalité manipulatrice lorsque sa victime est tombée sous son emprise : elle l’attrape par le cou et celle-ci ne peut plus s’échapper.
Bien que la manipulation soit semblable à la tromperie, il existe des différences radicales entre les deux. La manipulation est généralement beaucoup plus subtile que la tromperie. La personne manipulée a rarement l’impression d’être victime d’un manipulateur ; la tromperie, quant à elle, est généralement plus rude et plus flagrante. Pour comprendre la différence, nous prendrons l’exemple d’une campagne de marketing. Nous savons bien qu’il est courant, dans les stratégies de marketing, de recourir à la manipulation pour atteindre un objectif précis. Le succès d’une bonne campagne repose sur le fait d’amener le consommateur à acheter le produit annoncé. Tout d’abord, l’attention de l’acheteur doit être attirée sur le produit. La première étape de cette persuasion est liée à l’utilisation du langage verbal. L’annonceur fait ainsi sa première incursion dans le cerveau de l’acheteur potentiel. Pour parvenir à le faire acheter, la publicité utilise des phrases semblables à celles-ci : « ce produit va changer votre vie. Lorsque je l’ai essayé, je n’imaginais pas que je ne voudrais plus jamais changer de marque. Au début, j’étais sceptique. Je me disais : « Pourquoi dépenser mon argent dans un autre produit alors que j’en ai déjà un que j’utilise depuis toujours ? » jusqu’à ce que je l’essaie… c’était incroyable ! » La psychologie du marketing affirme que si le langage persuasif est bien utilisé, la manipulation est beaucoup plus efficace que si l’on utilise un langage direct et agressif. Les campagnes politiques ont également souvent recours à la manipulation par le biais du langage verbal : « Nous changerons le destin du pays. Rejoignez-nous pour qu’ensemble, nous rendions possible l’impossible. C’est en équipe que nous entrerons dans l’histoire. » En utilisant le pluriel, le destinataire du message se sent inclus dans le message, il a l’impression de faire partie de quelque chose, ou que le leader politique le prend en compte et s’adresse directement à lui. Ce sont là deux exemples de manipulation par le langage que les responsables marketing utilisent (ils appellent généralement cette stratégie la persuasion, ce qui la rend beaucoup moins politiquement incorrecte). Les manipulateurs sont fréquemment particulièrement habiles lorsqu’il s’agit d’utiliser le langage pour parvenir à leurs fins. Ces personnalités manipulatrices, acquièrent habituellement rapidement des compétences psychologiques grâce à une verbalisation sophistiquée, qui met leurs victimes en confiance. L’utilisation du pluriel comme « nous », « ensemble », « nous allons », « viens avec moi », « toi et moi », « tu es très spéciale pour moi », « je t’aime beaucoup », « tu es la personne la plus importante dans ma vie », etc. sont souvent des phrases d’accroche efficaces qu’ils utilisent pour obtenir ce qu’ils veulent. Les mots eux-mêmes n’ont pas assez de poids pour réussir une stratégie de manipulation, c’est leur contexte émotionnel qui pousse les victimes potentielles à se plier à la volonté du manipulateur.
Un autre biais de manipulation courant est ce que l’on appelle en psychologie la règle de réciprocité, qui consiste à se sentir moralement obligé de rendre une bonne action que l’on a reçue de quelqu’un d’autre. En d’autres termes, il s’agit de se sentir redevable envers quelqu’un qui nous a fait une faveur. Cette règle de réciprocité est très répandue dans le marketing et, bien entendu, est utilisée par les manipulateurs et les adeptes de gourous et autres manipulateurs pour obtenir des résultats avec une grande efficacité. Il est fréquent que le manipulateur propose une aide désintéressée afin d’obtenir ce qu’il attend de sa victime. Le fait d’être serviable, obséquieux et démesurément gentil avec une autre personne est un trait typique du manipulateur pour atteindre son but ultime. Cela explique pourquoi il se donne tant de mal pour faire plaisir à sa potentielle victime. Ceci, bien sûr, au début, car ce masque tombera tôt ou tard. Cette stratégie de manipulation a été employée tout au long de l’histoire, dans différents contextes. Au cours des guerres et des conflits internationaux, les espions qui ont soutiré des informations précieuses de leurs adversaires ont utilisé la stratégie de la règle de la réciprocité. D’ailleurs, « Si je te donne, tu me donnes » pourrait être la devise de ce type d’outil psychologique. Le manipulateur dira des demi-vérités ou utilisera les mots qu’il faut pour tenter de faire céder la victime petit à petit, par la flatterie, les compliments et la politesse, jusqu’à ce qu’il parvienne à vaincre sa résistance psychologique. Il existe de nombreux moyens de manipuler une personne par le discours verbal en utilisant des détours, ou encore des changements de sujet et de centre d’intérêt. Lors d’une première rencontre informelle autour d’un café, par exemple.
Le manipulateur peut également montrer une profonde vulnérabilité en racontant des anecdotes intimes ou en jouant un petit rôle dramatique avec de faux pleurs et sanglots pour émouvoir sa proie. Ce comportement est souvent couronné de succès en fonction du niveau d’empathie de la personne qui est manipulée.
L’expression « machiavélisme » vient de Niccolò Machiavelli (1469 – 1527), un écrivain et diplomate italien, devenu célèbre grâce à un traité intitulé Le Prince, dans lequel il explique en détail les principaux facteurs qui conduisent à s’emparer du pouvoir par des moyens peu orthodoxes. Le machiavélisme peut être considéré comme une série de stratégies visant à atteindre le but recherché par le biais de stratégies de manipulation, de tromperie et de persuasion psychologique. Mais contrairement à la manipulation (abordée précédemment), le machiavélisme ne se concentre pas tant sur le contrôle et la tromperie par le biais des émotions, mais plutôt sur une analyse cognitive et intellectuelle. Cela signifie que la personnalité machiavélique analyse toujours froidement la meilleure façon de tirer profit de sa victime. C’est pour cette raison que les grands dirigeants politiques de l’histoire ont dû recourir à un comportement machiavélique pour parvenir à leurs fins. La politique est reconnue comme étant l’art de la tromperie, mais c’est aussi l’un des principaux domaines de travail et d’analyse de ce type de personnalité, car les politiciens professionnels font généralement preuve d’un grand contrôle de leurs émotions par le biais du langage verbal et non verbal, afin d’obtenir un maximum de réussite en tant que dirigeant. La personnalité machiavélique est dépourvue de morale. Dans Le Prince, l’une des maximes les plus célèbres de l’ouvrage de l’auteur florentin est : « la fin justifie les moyens », ce qui résume parfaitement l’esprit de l’œuvre. Ainsi, selon, ce type de personnalité, un véritable dirigeant ne prête pas attention aux détails moraux, il prend simplement ce qui lui revient. Blesser les sentiments et détruire les illusions des autres n’est qu’une simple conséquence, tout comme l’omelette est la conséquence de casser des œufs. Blesser ou écraser les autres sont des pratiques courantes chez les personnalités machiavéliques. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les personnes très empathiques ne comprennent pas comment le manipulateur a pu avoir si peu d’égard pour telle ou telle personne dans le but de parvenir à ses fins : elles ne comprennent pas cette « atrophie » du système émotionnel. Le machiavélique connaît généralement bien les traits de personnalité et le comportement des êtres humains. C’est précisément la raison pour laquelle il ne peut éprouver aucune compassion au moment de tromper, mentir et persuader les autres de faire exactement ce qu’il veut qu’ils fassent. La victime d’une personnalité machiavélique, pour le dire élégamment, doit coopérer passivement afin de devenir un objet, un instrument ou encore un chemin que l’individu à la personnalité machiavélique utilisera pour atteindre son but final.
L’égoïsme et les mécanismes narcissiques des sociétés modernes nous ont habitués à être égoïstes , au nom d’une soi-disant réussite individuelle. Le culte de l’ego, la compétitivité et le manque d’empathie pour les autres font que les comportements narcissiques sont de plus en plus fréquents. La personnalité narcissique, dans ses caractéristiques, a une forte teneur en égoïsme. Il est courant de voir des photos sur les réseaux sociaux, où les gens ont tendance à se vanter ou à montrer leur style de vie, leurs vêtements, leurs voitures, leurs voyages, voire les membres de leur famille, comme s’ils n’étaient que de simples accessoires et qu’ils n’étaient là que pour poser pour la photo parfaite qu’ils ont créée dans leur esprit. Bien que le narcissisme ait un côté positif car il permet d’augmenter l’estime de soi et d’avoir du succès malgré les critiques qui peuvent surgir autour de nous, lorsque le comportement narcissique devient une tendance, il peut se révéler toxique. Les exigences constantes du narcissique, sa personnalité mégalomaniaque, son estime de soi excessive, conduisent à un trouble de la personnalité et ce, dès l’enfance . Même si chacun d’entre nous possède des traits de personnalité égoïstes, chez le narcissique, ceux-ci sont clairement visibles et prennent le dessus sur tous les autres. L’origine et le développement du trouble de la personnalité narcissique se situent en grande partie dans l’enfance. Dans certains cas , les enfants de parents narcissiques présentent souvent ce type de trouble, bien que la science n’ait pas d’avis tranché à ce sujet. Dans l’esprit du narcissique , c’est toujours lui qui passe en premier ; le reste de l’humanité n’a pas d’importance. Les autres ne sont là que pour reconnaître sa grandeur, son excellence, sa beauté, sa perfection, son intelligence et son élégance.
Le narcissique est une sorte d’étoile autour de laquelle tourne le reste du système planétaire. Ce dernier est pour lui insignifiant et ne pourrait pas exister si sa personnalité lumineuse et chaleureuse ne l’éclairait pas et ne le nourrissait pas de sa présence constante. Le narcissique sera toujours là pour corriger les comportements, enseigner, éduquer, guider, sauver, diriger, conseiller, instruire, etc. Il verra toujours des défauts chez les autres, mais seulement des qualités chez lui. C’est un être conçu pour être infaillible, beau, adroit et incapable de faire la moindre erreur. Son esprit est imperméable aux critiques. Il ne les écoute pas car elles viennent de personnes inférieures, c’est ainsi qu’il les voit et pas autrement. Jamais une personne empathique ne pourra être à la hauteur de la personnalité d’un narcissique. Il existe deux types de personnalités narcissiques : les narcissiques grandioses et les narcissiques cachés, ou vulnérables.
Le narcissique grandiose : ce type de personnalité narcissique considère que son existence est unique et que personne ne peut se comparer à elle. La seule façon de traiter ce type de personnalité est la soumission : si elle n’est pas adorée, comme si elle était une star ou une divinité, elle dévalorisera ceux qu’elle avait l’habitude d’estimer. Ceux qui n’admirent pas le narcissique grandiose n’existeront pas à ses yeux. La personnalité narcissique grandiose est généralement chargée d’une énergie positive éphémère. Elle est rapidement épuisée par les efforts qu’elle fournit pour attirer l’attention de ceux qui l’entourent. Elle a tendance à afficher un certain charme, qui s’estompe dès qu’elle reçoit une critique, même constructive. Son manque d’introspection psychologique est évident et elle est donc souvent insensible à l’observation ou à la critique. La jalousie est fréquente dans ses relations, qu’elles soient professionnelles, amoureuses ou commerciales. Son manque d’auto-évaluation la rend faible car elle n’a pas de véritable estime d’elle-même.
Le narcissique caché : ce type de personnalité narcissique se cache derrière un masque de timidité ou de vulnérabilité. Bien que l’on puisse considérer qu’il ne s’agit pas d’une personnalité dominante ou dominatrice, le narcissique caché a une personnalité moins forte que le narcissique grandiose, qu’il cache sous un voile de modestie. Il sait très bien ce qu’il fait et c’est pourquoi il alterne continuellement supériorité et modestie. Dans le cadre de leur mécanisme de fonctionnement, les personnalités narcissiques cachées sont vulnérables, se plaignent et prétendent souffrir beaucoup, se victimisant constamment. Elles ont tendance à avoir un statut social modeste, passant inaperçues dans les structures hiérarchiques, essentiellement parce qu’elles ne tolèrent pas très bien les critiques qui peuvent surgir autour d’elles. Elles ont tendance à se sentir minimisées lorsque quelqu’un dans leur entourage proche a plus de pouvoir, de charisme ou une personnalité plus forte que la leur. C’est pourquoi elles ont tendance à utiliser la pitié et la compassion comme mécanismes de contrôle. Elles sont conscientes qu’il existe des normes sociales légales et, par conséquent, en public, elles essaient de limiter leurs attaques, mais en privé, elles seront beaucoup plus agressives. Elles ont tendance à être méprisantes, irrévérencieuses et irrespectueuses des hiérarchies sociales. Elles connaissent leur place dans la pyramide sociale c’est la raison pour laquelle elles se sentent très à l’aise dans un poste de cadre moyen, où elles peuvent abuser de leurs subordonnés comme bon leur semble. La névrose est l’un de leurs traits caractéristiques. Elles n’ont pas une « grande gueule » et ont tendance à être plutôt complaisantes et prétentieuses .
Les manipulateurs sont très habiles pour entrer dans l’esprit de leurs victimes et modifier leur système de croyances afin de les convaincre de faire le contraire de ce qu’elles pensent, à la fois d’elles-mêmes et du monde qui les entoure. Bien que l’idée de manipulation puisse sembler négative, il faut reconnaitre que de nos jours, pratiquement tous les êtres humains sont manipulés par le biais de la culture, de l’éducation et du comportement en société, et ce, dès leur plus jeune âge. Les enseignants, les membres de la famille, les amis, les collègues de travail ou camarades de classe, les voisins, les partenaires, etc. influencent d’une manière ou d’une autre notre vision des choses. Il suffit de voir comme nous pouvons changer d’avis après avoir pris connaissance de leurs opinions. Ces opinions déterminent nos actions qui, à leur tour, affectent notre avenir à tous les niveaux : économique, psychologique, professionnel, académique, émotionnel, social, etc .
Les mécanismes de la persuasion et de la manipulation peuvent être observés dans tous les domaines de la vie. Par exemple, un homme politique manipule ses électeurs potentiels pour qu’ils votent pour lui, en essayant de changer leur façon de penser grâce à ses idées et ses propositions. Les chefs spirituels font de même avec leurs disciples, en utilisant des ressources rhétoriques pour les émouvoir, les effrayer ou les enthousiasmer afin qu’ils suivent les enseignements et les préceptes qu’ils promeuvent. Les grands hommes d’affaires et les PDG d’entreprises mondiales utilisent des arguments de persuasion et de manipulation pour convaincre les consommateurs qu’ils devraient acheter leur produit plutôt que celui de leurs concurrents. L’esprit humain dispose d’un mécanisme qui lui permet de détecter lorsque quelque chose va à l’encontre de ses concepts moraux ou éthiques. Ainsi, lorsque quelqu’un fait face à un argument qui s’oppose à ses croyances ou aux idées dont son esprit a été nourri depuis l’enfance, il y a un choc. C’est ce qu’on appelle en psychologie la dissonance cognitive. Cela signifie que le cerveau est incapable de comprendre ou de traiter une idée contraire à celle qui a été prédéfinie. Les manipulateurs sont très habiles pour modifier les concepts afin de les adapter aux croyances et aux idées de chaque personne lorsqu’ils essaient de convaincre leurs victimes de faire ce qu’ils veulent. Une grande partie des choix ou des achats compulsifs, par exemple, est due à la manipulation de notre cerveau par des techniques de marketing. Acheter des produits dont nous n’avons pas besoin ou donner de l’argent ou de l’attention à quelque chose qui ne nous intéresse pas, mais que nous sommes inconsciemment obligés de faire, est souvent le résultat d’une manipulation.
Certaines formes courantes de manipulation se présentent souvent sous l’apparence de bonnes intentions. Les publicités qui nous émeuvent s’accompagnent souvent d’une musique mélancolique, d’images d’impuissance et de tristesse, et d’un message final du genre : « Collaborez à cette cause pour que les enfants de X pays du Tiers – Monde ne souffrent pas. Faites un don, même minime, à ce compte ou à ce site web et vous aiderez à sauver une vie ». Ce genre de publicité est une forme peu subtile de manipulation psychologique .